Moment de vérité pour la nouvelle politique énergétique
Après le rejet par le peuple suisse d’un arrêt express des centrales nucléaires, place à la stratégie énergétique 2050. Le référendum de l’UDC contre le premier paquet de mesures ayant abouti, la population votera sur le sujet le 21 mai prochain. Si ce dernier est accepté, il pourrait entrer en vigueur dès 2018. Mais au fait, quel futur énergétique ont préparé les parlementaires ?
Il a fallu cinq ans pour mettre sous toit la nouvelle politique énergétique. Le projet initial a subi de nombreuses retouches, mais la direction générale n’a pas varié. D’ici 2050, la Suisse devra diminuer sa consommation d’énergie et utiliser de plus en plus du renouvelable. Elle peut heureusement s’appuyer sur son potentiel hydraulique. Les objectifs fixés dans la loi sont indicatifs : ce qui permettra de s’adapter aux aléas, qui ne manqueront pas de se produire d’ici là.
Les objectifs fixés par la nouvelle loi sur l’énergie (Energie 2050)
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Deux étapes, en principe
Le Conseil fédéral propose d’atteindre l’objectif en deux étapes. La première (que le Parlement a approuvée récemment) permettrait de parcourir la moitié du chemin. Une baisse énergétique de 43% est déjà visée pour 2025. Tout ce programme implique une rénovation des bâtiments les plus anciens (via des incitations fiscales) ; des mesures de mobilité taxant le CO2 des voitures, des systèmes de mesures intelligents pour les économies d’énergie. Il envisage des procédures plus courtes et plus souples passant par des mesures innovantes, autour de la sortie progressive du nucléaire. Mais quand on sait que 400 éoliennes sont nécessaires pour atteindre l’objectif 2035 de Suisse-Eole et que seuls 37 sont actuellement en service !
La seconde étape, formulée sous l’égide d’un article constitutionnel, avait pour objectif d’introduire, dès 2021, un véritable « système incitatif en matière climatique et énergétique ». Ce système, qui augmenterait nettement le prix de l’énergie pour inciter les consommateurs à modérer leurs appétits, n’est cependant pas prêt de voir le jour, puisque le Conseil national a refusé, début mars, d’entrer en matière sur le projet. Le Conseil des Etats devrait suivre la même voie.
Des actions tous azimuts
La première partie de la stratégie énergétique prévoit une série de mesures pour augmenter l’efficacité énergétique et le recours au renouvelable. C’est une combinaison de prescriptions plus strictes et de subventions.
- Electricité renouvelable: 1,4 milliard de francs seront à disposition annuellement pour soutenir la production d’électricité renouvelable et l’hydroélectricité. Cet argent viendra d’une augmentation de la taxe sur l’électricité (RPC), qui passera de 1,3 centime par kilowattheure à 2,3 (soit 40 francs annuels par ménage). La forme du soutien changera, pour privilégier les aides à l’investissement plutôt que le rachat à prix fixe de l’énergie produite durant une vingtaine d’années. Ce système n’acceptera plus de nouvelles installations, six ans après l’entrée en vigueur de la loi, alors que le soutien à l’investissement se prolongera jusqu’en 2031.
- Electricité hydraulique: le Parlement a été sensible aux difficultés des producteurs d’énergie hydraulique. Les prix très bas de l’électricité sur le marché européen ne permettent pas de couvrir la totalité des coûts. La branche bénéficiera d’aides à l’investissement pour la construction ou le renouvellement d’installations. Ceux qui vendent à perte pourront obtenir un complément d’un centime par kilowattheure afin de les aider à traverser cette mauvaise passe. L’enveloppe financière à disposition de l’hydraulique reste relativement modeste, et cette problématique reviendra rapidement à l’agenda politique.
- Simplifications des procédures: la construction d’installations renouvelables bute souvent sur des oppositions. Le Parlement a limité les possibilités de recours. L’avenir dira si cela sera suffisant.
- Appareils: le nombre d’appareils soumis à des normes de consommation sera étendu et les normes régulièrement durcies, en principe au même rythme que dans l’Union européenne.
- Véhicules : en parallèle avec l’Europe, la Suisse diminuera les émissions de CO2, et donc la consommation des véhicules.
- Bâtiments: le plafond des subventions destinées à rénover les bâtiments passera à 450 millions par an, au lieu de 300 actuellement. Les frais d’assainissement énergétiques seront plus largement déductibles.
- Energie nucléaire: les centrales existantes pourront continuer de fonctionner tant que leur sécurité est garantie. En revanche, il sera interdit d’en construire de nouvelles.
Le second paquet, beaucoup plus coercitif, a pour objectif d’introduire des taxes d’incitation, selon diverses variantes. La plus contraignante souhaite faire grimper la taxe CO2 sur les combustibles (mazout) de 89 centimes par litre; le litre d’essence devrait renchérir de 26 centimes par litre ; enfin, une taxe sur l’électricité de 3 cts/kWh à l’actuelle devrait s’ajouter pour financer le renouvelable.
Les objectifs de la nouvelle loi sur l’énergie pour l’électricité renouvelable
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Un référendum à l’issue incertaine
Avec l’aboutissement du référendum, la stratégie énergétique devra donc passer l’écueil du vote populaire ce 21 mai. Contrairement aux autres votes dans ce domaine, l’opposition gauche-droite ne se manifeste que partiellement. C’est l’UDC qui mène le combat contre ce projet, mais le parti compte des dissidents en son sein, notamment du côté des parlementaires romands. Au PLR, il y a également une fracture entre pro et anti-stratégie, plus marquée qu’à l’UDC. En revanche, le PDC, les autres partis du centre et la gauche soutiennent largement le projet. Les milieux économiques sont partagés (cf. encadré ci-dessous), alors que les électriciens le soutiennent majoritairement. Dans ces conditions, l’issue du scrutin est encore difficile à prévoir.
Les protecteurs de la nature sont au pied du mur
Les organisations économiques ont longtemps été identifiées comme les principaux adversaires de la stratégie. Mais maintenant que le projet est sous toit, ce sont les organisations de protection de la nature qui sont au pied du mur. La concrétisation des objectifs pour les énergies renouvelables demandera de sérieux efforts. Or, les oppositions les plus virulentes au développement de l’hydraulique et des éoliennes émanent souvent d’organisations comme Pro Natura, Bird Life ou le WWF. Elles s’affichent pourtant comme les principaux supporters du renouvelable et d’un arrêt rapide du nucléaire. Il y a là une contradiction majeure, dont elles devront impérativement sortir. Moins la Suisse produira d’électricité localement, plus elle en importera de France et d’Allemagne (où elle est produite principalement avec du nucléaire et du charbon).
Rester agiles pour un approvisionnement à prix abordables
La direction de la nouvelle politique énergétique est donnée, il reste à larguer les amarres. Compte tenu de la durée du voyage, le navire énergétique suisse devra affronter bien des changements de cap d’ici 2050. Cela a d’ailleurs déjà commencé. Alors qu’on s’attendait à une hausse des prix énergétiques, ils sont au plus bas. De quelle manière les objectifs fixés pourront-ils être pleinement atteints d’ici 2050 ? Comment s’organiser si le développement du renouvelable s’avère beaucoup plus lent que prévu ? Autant de questions auxquelles il faut se préparer. Pour y répondre, la politique énergétique devra faire preuve de souplesse et s’éloigner des discussions dogmatiques qui ont marqué la naissance de cette stratégie. Et par-dessus tout, il ne faut pas perdre de vue l’objectif principal : assurer au pays un approvisionnement sans failles, à un prix compétitif pour les citoyens et les entreprises. Dans le domaine énergétique comme dans d’autres, la Suisse ne peut pas devenir une île.
Prises de position de l’économie
Le Conseil de la CCIG s’est prononcé le 27 mars pour la stratégie énergétique. L’Union suisse des arts et métiers (USAM) soutient le projet, tandis qu’economiesuisse n’a pas souhaité prendre position. Face aux partisans du projet, d’autres groupements ont décidé de soutenir le référendum : Swissmem, GastroSuisse, Swiss Plastics, Swissoil, l’Association des transports routiers,Auto-Suisse ou encore Sciences Industries.
L’Office cantonal de l’énergie informe
A Genève, les Rencontres de l’Office cantonal de l’énergie étaient consacrées à ce thème avant Noël, avec une présentation de Nicole Zimmermann, directrice des bâtiments à l'Office fédéral de l'énergie. Actuellement, des sommes colossales destinées à des rénovations restent inutilisées et coûtent même cher à la Confédération, vu les taux d’intérêt négatifs. « Si actuellement on privilégie une base volontaire, on sera vite obligé d’arriver à des solutions contraignantes, précise Nicole Zimmermann. Il y a donc tout intérêt à profiter des incitations financières actuelles ». Genève figure parmi les meilleurs élèves de Suisse avec ses programmes Eco21 ou électricité VitaleVert. Et ce n’est pas tout : le Canton se lancera jusqu’en 2018 dans un ambitieux plan de rénovation énergétique des bâtiments.
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