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La Suisse prête à relever le défi numérique ?

CCIG
Posté le 26/10/2017
Articles de fond

La digitalisation est partout dans les débats : elle fascine et effraie à la fois. La faîtière economiesuisse en a fait son thème pour la Journée de l’économie 2017, qui se déroulait à Genève. L’occasion de confronter points de vue théoriques et empiriques.

« La digitalisation ne doit pas remplacer l’humain » : c’est Heinz Karrer lui-même qui le dit. Le président d’economiesuisse approuve une automatisation intelligente, mais pas n’importe comment. Pour réussir la transition numérique, il faut mieux en définir les interactions : tenir compte du développement durable et miser sur la formation ou l’innovation, ce qui ouvrira de nouveaux profils, souligne-t-il. « Une ouverture d’esprit des employés et des entrepreneurs s’impose, car on n’a plus un seul job dans sa vie ». Face à l’économie, le monde politique ne doit pas être un garde-fou, mais un accompagnateur. Par exemple, Heinz Karrer conseille d’introduire l’informatique dès l’école enfantine pour que chacun apprenne à devenir autonome.

Des exemples à suivre

C’était ensuite au tour du professeur Martin Vetterli, président de l’EPFL, de s’exprimer. A ses yeux, la Suisse est contrainte de faire face au tsunami numérique. D’ailleurs, c’est elle qui a créé le premier robot humanoïde en 1780, une poupée horlogère conçue dans l’arc jurassien. Sans oublier qu’en 1990, l’Internet a vu le jour au CERN de Meyrin. Mais cette technologie a migré aux Etats-Unis, qui se sont réapproprié la découverte. « Pourquoi la Suisse a-t-elle laissé filer le numérique à l’étranger, alors qu’elle disposait là d’un outil pionnier ?, s’interroge-t-il. C’est vrai qu’elle a une taille trop petite pour s’imposer sans partenariat. Mais si la Silicon Valley californienne a autant servi de modèle au monde, c’est qu’elle s’est appuyée sur ses universités ». La Suisse pourrait s’en inspirer, en développant encore les recherches et prouver son savoir-faire. Le pays dispose de tout, sauf de venture capital, ce capital-risque qui lui manque pour relever le défi. Elle ne peut plus se baser uniquement sur le private banking. En guise d’illustration au système actuel, le président de l’EPFL fait référence à l’économie du coucou : un oiseau qui dépose son œuf dans le nid de l’autre pour le faire couver.

Une entreprise à la pointe

Conviée à présenter son expérience, Carole Hubscher, présidente du Conseil d’administration de Caran d’Ache, a souligné que l’entreprise familiale genevoise centenaire avait su aborder au mieux la transformation digitale. Avec ses 300 employés, elle a introduit la robotisation pour les tâches répétitives, a mené des recherches et a fait preuve de flexibilité afin de personnaliser ses articles. Caran d’Ache veut aussi créer une communauté d’intérêts en misant sur l’e-commerce. « Mais la digitalisation ne remplacera jamais l’artisanat qui a fait notre force, souligne Carole Hubscher. Il y a un jeu d’équilibre à trouver. Si le digital nous emmène vers des valeurs nouvelles, il reste complémentaire à l’écriture, qui gardera ses lettres de noblesse ».

« On vit trop bien en Suisse »

La Journée de l’économie s’est poursuivie autour d’une table ronde sur l’homme au centre de la numérisation. Premier intervenant : la société de cartonnage vaudoise Bobst, qui a intégré ce processus il y a 20 ans. Mais cette révolution en marche la pousse à renouveler sans cesse ses défis. Comme le souligne son Chief Executive Officer Jean-Pascal Bobst, « il s’agit d’identifier de bonnes stratégies d’entreprise et trouver un Uber made in Switzerland ».

Selon Doris Bianchi, adjointe du 1er secrétaire de l’USS (Union Syndicale Suisse), beaucoup de choses restent inconnues dans la numérisation, et l’homme doit en garder le contrôle. « On ne peut pas se contenter d’une formation continue d’une semaine, mais doit favoriser une reconversion de l’employé. »

« La Suisse possède beaucoup de compétences, mais accuse un sérieux retard, car on vit trop bien en Suisse, reconnaît Uschi Backes-Gellner, professeure de gestion d’entreprise à l’Université de Zurich. Le système dual de formation est une force que notre pays doit promouvoir, tout comme l’esprit d’entreprise. Les jeunes semblent prêts à plus de flexibilité que leurs aînés. On vit donc un choc de générations, avec des apprenants qui coachent désormais leurs chefs ».

Constat sévère pour le conseiller national PLR vaudois Fathi Derder : « La formation suisse n’est pas à la hauteur. Pour moi, diminuer les fonds alloués aux EPF est une monumentale erreur d’investissement. En Suisse, on reste trop cloisonné au lieu de travailler main dans la main. On ne peut pas être pour ou contre l’évolution de l’économie, mais on doit réfléchir à comment l’adapter. Pour des gens qui ont des idées, il faudrait dérouler le tapis rouge. Au niveau de la politique migratoire, le mieux serait de libérer des forces vives, d’octroyer davantage de visas à but économique. Je pense que les Départements fédéraux devraient engager un délégué au numérique».

La Suisse doit rattraper son retard

Dans son discours, la présidente de la Confédération Doris Leuthard ne l’a pas caché : elle espère que la Suisse deviendra un modèle. Si le gouvernement a déjà donné une impulsion, le rythme est bien trop lent. La présidente aimerait étendre les infrastructures de réseau mobile : « On doit passer à la 5G. Mais beaucoup de communes ou de particuliers rechignent à installer des antennes devant chez eux ». A ses yeux, il y a un programme fédéral de formation continue à mettre en place en misant sur le relais des associations de branche.

La conseillère fédérale se bat pour ne pas agrandir le fossé numérique et garantir la cohésion sociale. Le gouvernement veut déjà assurer la cyber-sécurité du pays, œuvrer contre l’espionnage industriel et encourager l’automatisation des tâches répétitives. Mais aussi investir dans l’innovation, tout en adaptant la réglementation. « La Suisse peut perdre, mais aussi beaucoup gagner, conclut Doris Leuthard. La numérisation est donc une opportunité à saisir ».


Le commerce de détail en première ligne

Dans le secteur du commerce, la relation clients se verra bouleversée ces prochaines années. « L’avenir est dans le cloud (partage des données) et dans une interaction accrue entre le client et la marque », estime Jérémy Wagner, de Business & Décision. Désormais, le client contrôle la situation, et c’est à l’entreprise de s’adapter à ses volontés. Mais la plupart des sociétés ont encore du mal à franchir le pas de la technologie. Il existe pourtant une vaste palette d’applications (parfois peu onéreuses) qui s’adaptent aux besoins des PME.

Selon la spécialiste du digital Camilla Lambotte, « l’intelligence artificielle se fait désormais par le machine learning, par exemple en associant des images et des mots ». Autre option : les chatbots, ces robots programmés pour des services standards et répétitifs. Si les demandes sont trop particulières, le robot réoriente la demande vers l’humain, qui apporte son savoir-faire sur mesure. Le chatbot permet donc un substantiel gain de temps. Citons encore la réalité augmentée, qui crée une valeur ajoutée dans le service technique, l’immobilier ou la culture.

La digitalisation a évidemment ses limites. Elle ne doit en aucun cas remplacer l’humain, mais la réalité est là : beaucoup gens ne passent désormais plus par les magasins, préférant commander par Internet. De par la nature de l’e-commerce, une rupture survient souvent dans l’après-vente. C’est là que l’entreprise doit apporter une réponse adaptée et réfléchir à maintenir un lien durable entre le client et le produit.

Bien sûr, il importe de protéger la sphère privée de la clientèle en sécurisant la gestion de ses données. Une loi-cadre européenne se prépare pour 2018, avec des sanctions à la clé. On ne badine pas avec l’appétit grandissant de la digitalisation ! Comme l’ont récemment relevé devant des membres de la CCIG des responsables d’Oracle, leader mondial du software d’entreprises, « le stockage des données s’est démocratisé. Il y a quelques années, il coûtait au minimum 50 000 francs, désormais 250 francs peuvent suffire ».


Doris Leuthard à l’écoute de la CCIG

En marge de l’Assemblée générale d’economiesuisse, la présidente de la Confédération Doris Leuthard a répondu favorablement à l’invitation de la CCIG et a consacré une petite heure à discuter digitalisation avec quelques entreprises membres.

Première oratrice, Laurence de la Serna, directrice générale de Jean Gallay SA, a pu illustrer que dans son entreprise, qui fabrique notamment des composants de moteur d’avions, la robotisation a pour objectif de réduire les coûts afin de produire plus sans augmenter l’effectif. Cinq projets, destinés à des tâches répétitives, doivent être réalisés d’ici fin 2019.

Le président de SIG, Michel Balestra, a rapidement passé en revue les projets qui s’inscrivent dans le concept de smart city. Cela se traduit en termes d’organisation interne de l’entreprise (projet EquiLibre, avec flexibilisation des horaires et travail à distance d’où limitation des transports et du trafic routier) ou techniques (GéniLac, qui utilise l’eau du lac pour rafraîchir les bâtiments en été et les réchauffer en hiver).

Vincent Chapel, président de Helvetia Environnement SA, a détaillé comment la digitalisation s’appliquait déjà à la collecte de déchets : outil de géolocalisation embarqué sur les camions, qui permet d’adapter en temps réel les parcours de la flotte de véhicules et des tournées de collecte en fonction des conditions d’exploitation et de circulation ou poubelles « intelligentes » équipées d’une puce pour détecter le taux de remplissage.

Fabriquant en Suisse la totalité de ses machines, Philippe Menoud, directeur général d’IEM SA, a montré comment horodateurs, plateforme web et application, couplés aux capteurs de présence de véhicules, constituent un écosystème complet. Celui-ci pourrait un jour permettre d’appliquer un dynamic pricing au stationnement.

Enfin, Patrick Odier, associé-gérant senior du groupe Lombard Odier, a souligné que, dans la banque aussi, les services digitaux deviennent une norme, avec un quart des revenus bancaires qui proviennent de la vente de services digitaux à d’autres institutions. Cette solution win-win permet au groupe de dégager des revenus afin de financer le développement de la plate-forme numérique et aux partenaires de réduire leurs coûts opérationnels.

La présidente de la Confédération a, pour sa part, rendu l’auditoire attentif au fait que, bien que le renchérissement de l’euro donne un coup de main à notre économie, le Brexit constituera probablement un frein à nos échanges. Dans ces conditions, avancer rapidement sur le terrain de la digitalisation est d’autant plus important que les autres pays n’attendent pas et pourraient se révéler plus rapides.

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