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Quand politique sociale ne rime pas avec logement d'utilité publique (LUP)

CCIG
Posté le 11/04/2018
Articles de fond

La solution à la pénurie d’appartements à Genève passe essentiellement par la construction de nouveaux logements, quelle que soit leur typologie. Le canton a pris trop de retard avec une production anémique pendant des années pour continuer à se focaliser sur des acronymes plutôt que sur la construction. Ce n’est qu’après un inventaire précis et concret de l’habitat social existant que l’on pourra évaluer les manques éventuels dans ce domaine.

En cette période électorale, le logement est revenu dans le trio de tête des préoccupations des Genevois, si l’on en croit un récent sondage. Les péripéties de ces derniers mois dans le domaine (projet Praille Acacias Vernets et initiatives populaires) ne sont pas étrangères à ce regain d’intérêt. De manière surprenante, le débat porte moins sur la construction ou non de logements que sur leurs types et leurs statuts locatifs ou non. Un peu comme si l’on décidait de la part du gâteau revenant à chacun avant d’avoir réuni les ingrédients de la recette…

Cheval de bataille pour les milieux représentant les locataires, la réalisation de logements d’utilité publique (LUP) est érigée en solution absolue à la pénurie de logements et élude toute autre considération d’habitat social. Le concept n’a pourtant que dix ans. Une remise en perspective s’impose.

Genèse d’un accord

En ce début de 21e siècle, le taux de vacance des logements à Genève a entamé une chute vertigineuse, passant de 1,5% à moins de 0,2% en quatre ans. En 2006, alors que la production de logements est famélique depuis plusieurs années, le conseiller d’Etat Mark Muller réunit les acteurs du logement pour sortir de l’ornière et relancer la construction. L’objectif est de jeter les bases d’une nouvelle politique du logement qui incite à nouveau à la réalisation de logements, en zone de développement (périmètre dans lequel l’Etat exerce un contrôle accru sur les programmes constructifs).

Le 1er décembre 2006, les travaux de ce groupe ont débouché sur la signature d’un protocole d’accord sur le logement (voir encadré 1). L’accord a renoncé à la règle rigide des 2/3 de logements sociaux dans les zones de développement, qui rendait les projets difficilement réalisables et n’assuraient pas la mixité sociale, ainsi qu’au système de subventionnement à la pierre (subvention à l’investissement en contrepartie d’un contrôle des loyers sur 20 ans). Il a en revanche créé une nouvelle catégorie, les LUP (voir encadré 2), qui imposent des critères de revenus et d’occupation aux locataires et prévoient une période de contrôle minimale de 50 ans.

Quel bilan tirer de cet accord, onze ans après sa mise en vigueur ? Un sentiment mitigé prévaut. Point positif, la prévisibilité et l’équilibre financier des projets ont été améliorés. Cela a débouché sur une hausse significative du nombre de logements mis sur le marché, la barre des 2000 logements construits annuellement étant franchie régulièrement depuis 2015. L’objectif de relance de la construction a donc été atteint et le taux de vacance, qui a franchi la barre de 0,5% fin 2017, est depuis lors en croissance.

En revanche, la cristallisation des fronts ne s’est pas atténuée et les passes d’armes entre milieux de défense des locataires et acteurs immobiliers se sont accrues à l’arrivée de l’échéance de validité de l’article 4A LGZD (loi générale sur les zones de développement). Ce dernier, issu de l’accord de 2006, définit les typologies de logements en zone de développement. Principal point d’achoppement, la proportion de LUP sur la totalité du parc locatif. Un taux de 20% est fixé comme objectif à atteindre, alors que le pourcentage fin 2016 se situe à 10%...

Chronique d’un échec

Malheureusement, l’accord sur le logement porte en son sein les graines de cet échec formel indubitable. L’objectif d’une politique sociale du logement est de permettre à chacun de trouver un logement correspondant à ses besoins et à ses moyens. Il peut s’agir de logements détenus par des collectivités publiques, des organismes à but non lucratif (fondations publiques ou privées, coopératives) ou des privés. Un appartement de 4 pièces appartenant à un propriétaire privé et proposant un loyer identique ou inférieur à celui d’un LUP n’est pas moins social et répond aux besoins prépondérants de la population, au sens de la définition donnée par la LDTR, dont se réclament les milieux de défense des locataires.

Or, l’accord de 2006 focalise abusivement l’attention sur un indicateur non représentatif du logement social en fixant un objectif de 20% du parc locatif qui doit être estampillé LUP. Il focalise également l’action de l’Etat sur les nouvelles constructions (correspondant annuellement à moins de 1% du parc) en éludant les incitations possibles pour faire muter le parc existant. Et justement, nombre d’objets répondent aux objectifs de politique sociale et leurs détenteurs seraient prêts à pérenniser ce statut en contrepartie d’un rendement sur le long terme.

Y a-t-il un intérêt à continuer de conduire une politique publique pour atteindre un objectif chimérique et erroné ? La préoccupation de la population n’est pas d’habiter un LUP – elle n’a que faire des arguties juridiques sous-tendant ce concept – mais de trouver un appartement répondant à ses besoins et moyens, dans la durée. Il est temps de changer de paradigme.

A la base, l’état des lieux

« Le courage de la goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert. », disait l'écrivain chinois Lao She. Repenser la politique sociale du logement à Genève, c’est remettre en cause des préceptes bien établis et facilement compréhensibles. Il est plus aisé de communiquer sur un nombre insuffisant de logements étiquetés LUP que d’inventorier la typologie des biens locatifs existant dans le canton. C’est pourtant bien à ce travail de fourmi qu’il faudra s’attacher pour pouvoir prendre des décisions éclairées.

Chacun a, dans son entourage, des connaissances cherchant un nouveau logement, sans succès. De même, chacun connaît des locataires de longue date dont le loyer défie toute concurrence. Le logement social ne se limite pas à des acronymes, mais correspond à une réalité, à un nombre important de logements dont les loyers répondent aux besoins prépondérants de la population, souvent sans subvention. Le logement social doit également se reconnaître dans le parc immobilier des organismes à but non lucratif (fondations, coopératives), qui sont des acteurs essentiels du marché.

C’est au travers d’un tel état des lieux que l’évaluation des besoins pourra se faire. Des mesures en découleront pour favoriser l’émergence d’une typologie de logements plutôt qu’une autre. Mais, avant toute chose, il s’agira de construire les nouveaux logements prévus par le plan directeur cantonal 2030. Le meilleur remède à la pénurie de logements n’est pas de combiner acronymes et pourcentages, mais de mettre sur le marché de nombreux logements, qui permettront d’atteindre un taux de vacance supérieur à 1,5-2%.


Ce que dit l’accord sur le logement

Un protocole d’accord sur le logement a été conclu à Genève le 1er décembre 2006, suite à un référendum de la gauche contre le PAV. Il a été paraphé par dix entités constituant le Groupe de concertation logement : le Conseil d’Etat, l’Association des Communes Genevoises, la Chambre Genevoise Immobilière, la Communauté Genevoise d’Action Syndicale, la Fédération genevoise des Métiers du Bâtiment, les fondations immobilières de droits public, l’inter-caisses et le Rassemblement pour une politique sociale du logement, ainsi que la CCIG. Après des mois de négociation durant l’année 2006, il a défini une nouvelle politique sociale du logement dans le but de relancer la construction de logements.

L'accord comporte dix alinéas qu’on peut synthétiser au travers des cinq principes généraux suivants :

  1. Constitution et stabilisation d’un parc de logements d’utilité publique correspondant à 20% du parc locatif du canton. Les locataires sont tenus de respecter un taux d’occupation et un taux d’effort.
  2. Assouplissement des contraintes en zone de développement en offrant des choix aux constructeurs sur le programme de logement à réaliser. Abandon de la règle des 2/3 de logements sociaux.
  3. Développement des coopératives par la mise à disposition de terrains. Elargissement du marché de la PPE. Promotion de la mixité sociale.
  4. Maintien des aides personnalisées au logement.
  5. Mise en place d’une politique foncière active de l’Etat et cadre de financement pluriannuel des investissements. 

Les LUP sont entrés dans Genève

Les LUP (logements d’utilité publique) sont nés de l’accord sur le logement signé en décembre 2006 (voir encadré 1). Leurs habitants doivent respecter des critères de taux d’effort (rapport entre le loyer et le revenu) et de taux d'occupation (rapport entre le nombre de personnes et de pièces) : ces deux caractéristiques sont valables durant au moins 50 ans.

Les LUP peuvent être détenus par une fondation immobilière de droit public ou privé, une commune, un organisme sans but lucratif, voire une entité privée dans des conditions strictes. Un objectif politique de 20% du parc locatif a été fixé alors qu’à l’heure actuelle, 10% du parc répond aux trois critères constitutifs. Nombre d’autres logements fonctionnent également selon les règles des taux d’effort et d’occupation, mais n’ont pas la pérennité formelle requise.


Acteurs publics et privés sans but lucratif

Une coopérative d'habitation est un organisme sans but lucratif qui fournit des logements au meilleur prix prioritairement, voire exclusivement, à ses membres. Intermédiaire entre la location traditionnelle et la propriété, la coopérative est constituée en société dont le capital est formé des parts sociales souscrites par les membres. Les locataires-coopérateurs doivent généralement déposer entre 5% et 10% de la valeur de leur appartement, ce montant leur étant remboursé lorsqu'ils quittent la coopérative. La société coopérative est propriétaire de l'immeuble et en assume la responsabilité; les coopérateurs sont formellement locataires, mais ils participent aux décisions et élisent le Conseil d'administration.

Les fondations immobilières de droit public, au nombre de quatre à Genève, ont pour vocation de gérer, entretenir et développer le parc immobilier des HBM (habitations à bon marché), qui compte actuellement plus de 7000 logements. Elles sont sous le contrôle indirect de l’Etat.

La Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l'habitat coopératif (FPLC) est également une fondation de droit public. Elle a pour mission de développer le parc de logements d'utilité publique (LUP) et de favoriser les coopératives d’habitation. Pour remplir ses missions, la FPLC prospecte et acquiert des parcelles afin de maîtriser des périmètres, puis les développe en apportant sa collaboration à l’étude et à la réalisation des plans d’aménagement de quartier.

Les fondations immobilières de droit privé, telles que la Fondation privée pour des logements à loyers modérés (FPLM) ou la fondation Parloca, sont sans but lucratif et ont pour but de permettre à des ménages de se loger dans le canton à des conditions avantageuses. Elles sont totalement indépendantes de l’Etat.

 

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