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Type d'événement

Une initiative elle-même irresponsable

CCIG
Posté le 13/06/2018
Articles de fond

L’initiative « Entreprises responsables » vise à imposer aux entreprises suisses, pour leurs activités ici et à l’étranger, un mécanisme – unique au monde – de responsabilité civile en matière de droits de l’homme et de l’environnement. Cette initiative présente un risque pour la compétitivité économique du pays et pénaliserait les entreprises suisses, y compris les PME.

Lancée par une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG), cette initiative s’inscrit dans une tendance mondiale qui veut imposer des exigences contraignantes aux multinationales. Elle demande que les sociétés suisses assument un devoir de « diligence raisonnable » en matière de droits humains et d’environnement dans l’ensemble de leurs relations d’affaires. Concrètement, les entreprises helvétiques auraient l’obligation d’analyser les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement liés à leurs activités ainsi qu’à celles de leurs filiales et sous-traitants, de prendre les mesures adéquates pour y remédier, enfin de rendre compte publiquement de leur analyse et des mesures adoptées. Une entreprise suisse qui violerait les droits de l’homme ou ne respecterait pas les normes environnementales serait tenue de réparer les dommages devant les tribunaux suisses, même s’ils sont causés par une filiale à l’étranger.

Il est indubitable que les entreprises helvétiques se doivent de respecter les droits de l'homme et de l'environnement dans leurs activités quotidiennes. Déjà aujourd’hui, le pays dispose d'ailleurs d’une des législations parmi les plus strictes en la matière, en particulier en ce qui concerne les obligations dévolues aux organes dirigeants*.

Une question importante – un instrument inadapté
L’initiative soulève une question importante : comment améliorer le respect des droits de l’homme et des normes environnementales à l’échelle internationale ? Mais elle mise sur les mauvais instruments. Les dispositions extrêmes en matière de responsabilité proposées dans l’initiative et la création de nouvelles compétences juridictionnelles ne permettront pas d’améliorer la protection des droits de l’homme et de l’environnement au niveau mondial. Au contraire, cette approche génèrerait une lourde bureaucratie et obligerait les entreprises à s’engager dans des procédures judiciaires longues, onéreuses et à l’issue incertaine. Il faut davantage de collaboration et moins de confrontation. Miser sur la confrontation, des actions judiciaires et des procès est également contraire aux évolutions au sein de l’ONU et de l’OCDE, qui privilégient la collaboration et la médiation.

En février 2017, le Conseil fédéral a proposé de rejeter l’initiative, sans lui opposer de contre-projet. Il a mis le doigt sur ses fragilités et souligné qu’elle affaiblirait l’économie, en multipliant les risques encourus par les entreprises implantées en Suisse et actives à l’international, que ce soit dans l’exportation ou l’importation. Le gouvernement relève également qu’il privilégie une approche internationale concertée.

Problèmes de fond
Le texte de l’initiative pose des problèmes de fond à l’économie du pays. En premier lieu, il obligerait toutes les entreprises suisses à se porter garantes du respect des droits de l'homme et de l'environnement par l'ensemble de leurs « relations d'affaires » (art. 101a nouveau, al.2, let. b). Les sous-traitants sont donc aussi concernés ! Même des sociétés suisses qui n'exportent aucun produit, mais achètent des composants à l'étranger s'exposeraient à de possibles violations des législations environnementales ou du droit du travail par leurs fournisseurs, ou peut-être par les sous-traitants de ces derniers.

Les PME sont visées
L’article constitutionnel proposé ne comporte pas d’exception. Même si les initiants affirment que le législateur doit tenir compte des besoins des PME lorsqu’il règle l’obligation de diligence, celles-ci n’échapperont pas aux dispositions étendues en matière de responsabilité, à tout le moins dans les secteurs tels que les matières premières, la finance, l’agriculture, les industries alimentaire et textile. Les PME qui fournissent des entreprises internationales seraient aussi indirectement touchées et confrontées à des risques accrus et des charges administratives de plus en plus lourdes pour prouver leur conformité.

Un contre-projet naît
Après de longs débats, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a ouvert la voie à un retrait de l’initiative en lui opposant un contre-projet indirect. Celui-ci apporte des précisions au devoir de diligence des entreprises suisses. Le Conseil d’administration d’une société anonyme devrait ainsi identifier les risques que représente l’activité de la société pour les droits de l’homme et l’environnement, prendre des mesures et en rendre compte. Il devrait se pencher en priorité sur les conséquences les plus graves pour les droits de l’homme et l’environnement.

Le devoir de diligence s’appliquerait, d’une part, aux grandes entreprises qui, au cours de deux exercices consécutifs, dépassent deux valeurs sur les trois suivantes : un total du bilan de 40 millions de francs, un chiffre d’affaires de 80 millions, un effectif de 500 emplois à plein temps en moyenne annuelle. Le devoir de diligence devrait aussi valoir pour les sociétés dont l’activité présente un risque particulièrement important de violation des dispositions relatives à la protection des droits de l’homme et de l’environnement. Par contre, il ne s’appliquerait pas aux sociétés dont l’activité présente un risque particulièrement faible. Les sociétés mères seraient également exemptées de toute responsabilité relative aux dommages causés par leurs fournisseurs.

Enfin, la question de savoir si le contre-projet modifié tel qu’adopté par la CAJ-N aura pour résultat le retrait de l’initiative reste ouverte et dépendra des décisions du Parlement. Le contre-projet indirect sera traité dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme, actuellement en cours.

Un cadre législatif excessif
En conclusion, une acceptation de cette initiative constitutionnelle induirait un accroissement marqué de la charge administrative, un durcissement des rapports commerciaux entre partenaires, des coûts indéterminés pour écarter le risque abstrait de responsabilité et une insécurité juridique marquée.

Derrière le titre trompeur de l’initiative se cache un arsenal contraignant de normes et d’obligations pour les entreprises qui n’auraient au demeurant pas les moyens de les faire respecter, ne disposant pas du pouvoir coercitif nécessaire pour modifier les pratiques de leurs partenaires commerciaux. Par ailleurs, nombreuses sont les entreprises qui prennent la question de la responsabilité sociale très au sérieux et qui ont pris des mesures depuis des années pour garantir le respect des droits humains et environnementaux.

Enfin, au-delà des conséquences concrètes pour les entreprises prises individuellement, il apparaît que cette initiative fait courir un risque important à la place économique suisse et genevoise en termes de perte de compétitivité. Les entreprises helvétiques sont aujourd’hui réputées pour leur responsabilité sociale et environnementale. Des contraintes légales excessives constituent un moyen inapproprié pour soutenir les entreprises dans un monde de plus en plus globalisé.
* La compliance et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) comptent déjà, en vertu de la législation actuelle, parmi les attributions inaliénables du conseil d’administration d’une société anonyme (art. 716a, al. 1, ch. 5, CO). On peut considérer que le respect des droits humains et des normes environnementales est déjà couvert par les devoirs de diligence et de fidélité du conseil d’administration (art. 717, al. 1, CO). Ces devoirs incombent en particulier aux organes de sociétés qui opèrent au niveau international. Enfin, la réglementation actuelle sur la présentation des comptes (art. 957 ss CO) exige entre autres des grandes entreprises que la loi soumet au contrôle ordinaire des comptes annuels (art. 727 ss CO) d’établir un rapport annuel (art. 961, ch. 3, CO). Source : message du Conseil fédéral relatif à l’initiative, FF 2017 5999.

Ce que dit l’initiative « Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement »

  • L’initiative introduit un devoir de diligence complet pour le Conseil d’administration des sociétés mères suisses.
    Le devoir de diligence repose sur l’ensemble des « standards reconnus en matière de droits de l’homme et d’environnement».
  • Le devoir de diligence s’applique non seulement à l’ensemble des « entreprises contrôlées » (sociétés concernées en Suisse, y compris toutes celles qu’elles contrôlent à l’étranger), mais aussi à l’ensemble des relations d’affaires d’une entreprise.
  • La responsabilité s’applique à tous les fournisseurs et sous-traitants, indépendamment de leur position géographique.
  • Les entreprises répondent des dommages causés par les entreprises à l’étranger qu’elles contrôlent, lorsque celles-ci violent les « standards reconnus en matière de droits de l’homme et d’environnement ».
  • Pour se délier de cette responsabilité, une société mère suisse doit apporter la preuve qu’elle a entièrement respecté son devoir de diligence.
  • Les tribunaux suisses sont appelés à juger sur des faits qui se seraient produits à l’étranger, sans pouvoir y récolter directement des preuves.

Calendrier politique

Dépôt de l’initiative

10 octobre 2016

Message du Conseil fédéral

15 septembre 2017

Contre-projet indirect CAJ-N

20 avril 2018

Discussions au Parlement

Juin / Septembre 2018

Si maintien de l’initiative, votation populaire

Juin 2019 ou février 2020

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