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La durabilité, ce nouveau pilier de la finance

Nicolas Grangier
Posté le 21/12/2018
Articles de fond

L’investissement durable est en train de révolutionner le monde de la finance. Et son essor aura rapidement des conséquences sur toute l'économie mondiale. Genève se profile pour en devenir un acteur-clé.

« La révolution du développement durable est la seule et la plus grande opportunité d'investissement de l'Histoire », a déclaré Al Gore, ancien vice-président des États-Unis, en mars 2018 lors d’une manifestation de la banque Lombard Odier de Genève.  Après d’autres secteurs, le développement durable joue désormais un rôle central dans la finance mondiale. La prise de conscience des enjeux actuels et des excès du passé a mis en avant cette façon de concilier rendement économique, amélioration sociétale et environnementale. Au contraire d’un placement spéculatif, l’investissement durable ne cherche pas à maximiser les gains. Toutefois, des retours financiers sont requis ; il ne s’agit pas de philanthropie.

Deux grandes approches

Il existe deux catégories principales : l’ISR (investissement socialement responsable) et les fonds d’impact investing. L’ISR comprend les fonds d’exclusions, qui fonctionnent en général par la mise à l’écart de domaines indésirables, tels que les armes et dérivés sur les matières premières agricoles ; les fonds ESG (environnement, social et gouvernance), qui visent directement les pratiques des entreprises en fonction de leurs secteurs ; les fonds d’engagement, qui utilisent les droits de votes liés aux actions pour améliorer les pratiques. Les fonds d’impact investing, eux, sélectionnent des entreprises pour leur impact social ou environnemental et leur assurent un financement pour mener une mission et résoudre les problématiques du moment. L’investissement peut autant servir à financer des éoliennes qu’à préserver l’eau ou à promouvoir une agriculture équitable aux quatre coins du monde.

A fin 2017, l’investissement durable atteignait 22 800 milliards de dollars dans le monde (360,6 milliards de francs en Suisse), soit un dollar sur quatre gérés par des professionnels, selon une récente étude de Morgan Stanley. Sans surprise, l’Europe et les Etats-Unis se taillent la part du lion. A la base, il s’agissait plutôt de micro-financements ou de dons, souvent de particuliers ou d’ONG, destinés à une cause. Caisses de pension, fondations et assureurs misent désormais sur ce marché porteur. Paradoxe du phénomène : l’investissement durable est l’un des mieux cotés au vu de son succès.

« En pratique, cela fonctionne un peu comme pour un portefeuille traditionnel », relève Guillaume Bonnel, responsable impact investing à Lombard Odier, l’une des banques pionnières avec son unité dédiée. « Il existe une palette d’outils à disposition des investisseurs, qui ciblent des placements plus ou moins liquides. Il est aussi possible de panacher des fonds plus ou moins risqués. Nos analystes regardent les bonnes pratiques, comparent les notations pour opérer les meilleurs choix. Logiquement, je remarque des différences sensibles entre générations : les jeunes ont déjà bien intégré ces notions. »

Le moment est propice

L’impact investing, ou investissement à impact social, n’est en fait qu’une des facettes du financement durable et à peine 1% des fonds existants, toutes catégories confondues. Mais cette pratique connaît actuellement un taux de croissance de 13% par an. Elle se base sur des indicateurs concrets qui ciblent des causes utiles, avec des engagements personnels. Sont visés en priorité les services financiers, l’énergie et l’habitat. Bernd Balkenhol, professeur à la Geneva School of Economics and Management (GSEM), l’a rappelé lors d’une des dernières Rencontres du management durable à la CCIG : « Dix ans après la crise financière, il y a lieu de s'intéresser à cette approche alternative d'investissement qui se caractérise par des objectifs multiples : au-delà de la rentabilité financière, les impact investors cherchent aussi à générer un impact sur la société et l'environnement. Au-delà des simples déclarations d'intention, l'impact investing vise à démontrer des effets bénéfiques, financiers et extra-financiers ». Cette approche a pris un essor en 2015, quand les Nations Unies ont adopté les 17 Objectifs du développement durable (ODD ou SDG*1). Ces outils permettent d’identifier des opportunités d'investissement à l'horizon 2030 (cf. encadré). Alors que la performance financière est appréciée à l'aide de normes, il reste plus compliqué de déterminer les conséquences sociales et environnementales. « Petit à petit, un consensus se forme autour de mesures et méthodes communes pour évaluer et faire certifier cet impact extra-financier », a conclu le professeur. Le co-fondateur et Chief Financial Officer de la société Impaakt, Sylvain Massot, s’est spécialisé dans ce domaine : « Il faut élargir le marché potentiel, d’où l’idée de ma start-up de développer un système de notation de l’impact social et environnemental des entreprises cotées. Nous faisons appel à l’intelligence collective et au partage de connaissances pour évaluer objectivement cet impact ».

La Genève durable veut se faire connaître

Le canton de Genève a aussi montré l’exemple au secteur privé en émettant récemment des obligations vertes (green bonds) pour financer des bâtiments à haute performance énergétique (rénovation des HUG et d’écoles). Ces climate bonds ont d’ailleurs rencontré un joli succès auprès des investisseurs. En raison de la forte demande pour ces obligations, l’Etat a obtenu des taux extrêmement avantageux.

Avec l’érosion du secret bancaire, la place financière genevoise a l’intention de s’affirmer comme le leader incontesté des investissements responsables. Dans la Tribune de Genève,  le banquier Yves Mirabaud a récemment relevé « la croissance fulgurante de 82% de ce segment d’activités en 2017 ». Pour gagner encore en visibilité, l’Etat (sous l’impulsion de la DG DERI*2), des banques et autres organismes financiers veulent créer dans le canton un écosystème intégré. Ainsi, fin juin 2018, une séance de brainstorming a permis aux acteurs genevois concernés de faire ressortir vingt propositions : une place de marché dédiée, un projet d’accélérateur pour la finance mixte ou encore une plateforme de partage d’information pour la finance d’impact. Des groupes de travail seront lancés cet automne.

Genève va se doter d’un responsable du positionnement stratégique de la ville à l’étranger. En effet, avec l’administration cantonale et l’Institut international du développement durable, l’association Sustainable Finance Geneva (SFG) doit en nommer un. Elle a déjà mis au point une carte interactive qui recense une centaine d’acteurs spécialisés*3. Autre avancée de Genève : l’obtention en avril dernier du siège mondial du réseau FC4S (Financial Centres for Sustainability). Ce réseau permet un partage d’expériences sur la finance verte.

De nombreux défis sont posés à l’économie, en particulier comment protéger les portefeuilles des risques liés au développement durable, comment les orienter vers les futurs facteurs de rendement et comment ordonner la transition des entreprises. De toute façon, le changement climatique, la pression démographique, la raréfaction des ressources naturelles et la révolution numérique forceront la mise en place rapide de transformations. « Il y a actuellement un changement d’état d’esprit et d’habitudes du consommateur comme de l’investisseur », conclut Guillaume Bonnel. L’ère du profit individuel maximal fait peu à peu place à un nouveau modèle d’affaires, celui de la responsabilité globale.

*1. Sustainable Development Goals

*2. Direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation

*3. https://tinyurl.com/y9cfce9k


Genève au coeur des ODD

Les deux rives de Genève coopèrent désormais autour de la finance durable : la rive gauche, siège des principaux intermédiaires financiers, et la rive droite, berceau des organisations internationales. Depuis le début de son mandat, le directeur général de l’ONU à Genève Michael Møller a œuvré pour que la cité de Calvin se mue en hub de l’investissement durable. Comme l’a relevé la Tribune de Genève (01.10.18), « il a saisi d’emblée les enjeux des ODD », devenus une feuille de route mondiale. Cette référence a poussé à réunir des acteurs aux cultures et langages différents, qui s’ignoraient jusqu’alors. « Le monde des affaires s’est rendu compte que le développement durable était un bon business, voire une question de survie pour les entreprises », selon Michael Møller. L’ONU-Genève a même créé une nouvelle unité, le Laboratoire des ODD (SDG Lab) qui a pour objectif de connecter les acteurs et de partager les meilleures solutions d’ici à 2030.

Dans une autre interview accordée au Temps (26.08.18), Mark Halle, grand connaisseur du système onusien, estime que « Genève possède un atout unique : elle est la capitale de la mise en œuvre des ODD. Il paraît presque naturel que les banques offrent des véhicules permettant de financer ces objectifs. Les organisations internationales ont aussi besoin de revoir leur modèle de financement ». Dans le même article, Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève place financière, évoque le passage d’une relation de défiance à un partenariat : « Il se passe la même chose entre les acteurs du durable et la place financière que ce qui s’est produit entre les fintechs et les banques ».

 

 

 

 

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