La tarification : outil indispensable ou nouveau piège à taxes ?
En avril 2021, la CCIG a eu l’occasion d’exprimer sa position en matière de mobilité dans le cadre de la mise en consultation de la loi fédérale sur les projets pilotes de tarification de la mobilité. Cette consultation s’inscrit dans une stratégie de long terme du Conseil fédéral visant à réformer la taxation de la mobilité et le financement des infrastructures de transport. Le point sur la question.
L’idée est séduisante et a déjà fait l’objet dans les colonnes du CCIGinfo de plusieurs articles[1] : pallier la diminution des rentrées fiscales liées à la taxation des carburants fossiles grâce à un système alternatif de taxation des déplacements (redevance kilométrique, péage urbain …). Londres, Stockholm et Oslo ont, depuis plusieurs années, mis en place des systèmes de péage urbain afin de lutter contre les embouteillages. En Suisse, c’est un système de redevance kilométrique s’appliquant aux transports individuels motorisés privés et professionnels ainsi qu’aux transports publics qui se profile. Concrètement, il s’agirait de taxer les déplacements en fonction de plusieurs paramètres tels que les kilomètres parcourus, les heures et la zone du déplacement.
Au-delà de l’aspect fiscal et de la problématique du financement des infrastructures, la volonté du Conseil fédéral est également de répondre à des objectifs environnementaux et de décongestionner les réseaux de transport en influant directement sur la demande.
Soumis en consultation jusqu’au 17 mai 2021, le dernier projet de loi portant sur cette thématique visait à permettre la mise en œuvre, dans le cadre de projets pilote, du principe de la tarification de la mobilité afin d’influer sur la demande de transport. La CCIG s’est opposée au principe de tarification de la mobilité tel que présenté car elle prévoit une hausse importante des coûts de déplacement pour les usagers et les entreprises dans l’hypothèse de l’adoption d’un tel système. En voici les raisons principales.
Des objectifs réorientés
La stratégie du Conseil fédéral sur la tarification de la mobilité de 2016 et le rapport consécutif de 2019 visaient la pérennisation des sources de financement des infrastructures de transport. Or, dans le projet présenté en 2021, le principe de compensation de la diminution progressive des rentrées financières liées à l’utilisation de carburants fossiles par un système de tarification de la mobilité a été totalement évacué au profit d’un objectif déclaré visant à influencer la demande et le comportement des usagers. Cet objectif induit la nécessité d’augmenter drastiquement le coût de la mobilité par rapport aux standards actuels afin d’être suffisamment dissuasif et d’obtenir les effets escomptés, à savoir une réduction de la demande de transport.
Un réel impact sur les usagers ?
L’utilisation du « mobility pricing » dans le but de décongestionner les infrastructures de transport se heurte à plusieurs difficultés majeures. D’une part, l’hypothèse sous-jacente dépend de l’élasticité de la demande de transport, qui est en grande partie conditionnée par les besoins professionnels des usagers. A priori, tout porte à croire que cette élasticité est faible, comme en témoigne le fait que les entreprises et les usagers circulant aux heures de pointe continuent de le faire malgré les désagréments importants et la perte de temps que cela induit.
D’autre part, les exemples étrangers de péages urbains comme celui de Londres ont démontré l’importance que revêt le développement parallèle des infrastructures de transport sous peine d’être rapidement « rattrapés » par l’augmentation structurelle de la demande. Se reposer uniquement sur des incitations financières dissuasives afin de réduire les goulets d’étranglement et les pics de fréquentation est irréaliste à l’horizon des prochaines décennies. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’investir dans des infrastructures majeures à même d’avoir un impact significatif, telles que le projet de contournement autoroutier Est à Genève dit « Grande Traversée du Lac », actuellement en quête de financement à Berne.
Principe de l’utilisateur-payeur
L’un des arguments régulièrement mis en avant dans le cadre des discussions autour de la tarification de la mobilité est sa compatibilité avec le principe dit de l’utilisateur-payeur. Or, la CCIG relève que le mécanisme de financement des infrastructures est déjà en grande partie conforme à cette logique économique. En effet, s’agissant du secteur routier, les mécanismes de financement de la redevance sur le trafic des poids lourds (RPLP, en vigueur depuis le 1er janvier 2001), ainsi que de l’impôt et de la surtaxe sur les huiles minérales* reposent sur ce principe : la très grande majorité du financement de la « caisse routière » est donc déjà conforme au principe de l’utilisateur-payeur.
Baisse de l’attractivité du centre-ville
Dans l’hypothèse de la mise en place d’un système de tarification de la mobilité renchérissant les déplacements au centre-ville, l’impact pour l’activité économique et les commerces urbains serait énorme, d’autant plus dans les agglomérations frontalières telles que Genève. En effet, il est à craindre qu’un tel système pousse les usagers à consommer dans les centres commerciaux périphériques de l’autre côté de la frontière, pénalisant ainsi le tissu économique genevois et provoquant potentiellement des effets contre-productifs en matière de pollution en augmentant la durée des trajets en transport individuel motorisé.
Taxation du comportement
Le risque de hausse incontrôlable des coûts en cas de mainmise accrue du marché de la mobilité de la part de l’Etat est immense. Dans le cas du transport professionnel, l’augmentation régulière et importante de la RPLP fait en effet craindre une évolution similaire dans l’hypothèse de la mise en place d’un système de tarification de la mobilité généralisé. De plus, le remplacement d’une taxation de la consommation au profit d’une taxation du comportement n’apparaît pas comme souhaitable du point de vue de la liberté de commerce et d’industrie.
S’il est vrai que la pérennisation du financement des infrastructures représente effectivement un défi, cela ne constitue pas une raison pour se lancer tête baissée dans un projet séduisant mais comportant des risques considérables sur le plan des coûts de la mobilité.
Plus largement, des interrogations subsistent sur le plan juridique, la gratuité des routes publiques étant actuellement garantie par la Constitution fédérale. Genève s’étant d’ores et déjà profilée afin de bénéficier d’un projet pilote de tarification de la mobilité, il est fort probable que les prochaines années permettront de cerner plus concrètement les forces et les faiblesses de ce système et, surtout, de mesurer l’adhésion de la population à ce principe qui pourrait changer son rapport à la mobilité.
*L'impôt sur les huiles minérales diffère selon les produits et leur utilisation (carburant, combustible, usages techniques). En 2020, l’impôt et la surtaxe sur les huiles minérales se montent par litre à 76,82 centimes pour l'essence sans plomb et 79,57 centimes pour l'huile diesel.
[1] Voir les numéros de juin 2017 et d’avril 2020.
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