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L'aviation durable, espoir fondé ou oxymore ?

Erik Simonin
Posté le 31/08/2021
Article du CCIGInfo

Depuis le début de la pandémie au printemps 2020, le débat enfle autour de la compatibilité de la reprise de l’aviation avec l’objectif fixé par la Suisse d’une société neutre en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050. Les regards portés sur le bilan de l’année écoulée dans ce secteur frappent par leurs sensibilités diamétralement opposées. D’un côté, les écologistes radicaux considèrent que le coût environnemental induit par l’aviation nécessite une réduction drastique du nombre de vols et de passagers. De l’autre, les professionnels du secteur affirment que le développement de propulsions alternatives, couplé à la compensation des émissions de GES, permettra une transition rapide vers une aviation durable compatible avec les objectifs fixés. Qu’en est-il vraiment ?

Sollicitée par le parti des Verts genevois, l’ONG Noé21 a présenté en avril 2021 un rapport dont l’objectif est d’évaluer la compatibilité de plusieurs scénarios d’évolution du trafic aérien genevois avec la préservation du climat. Ces divers scénarios sont envisagés dans une étude et soulignent l’ampleur de la tâche : le maintien hypothétique du niveau de trafic aérien de 2020 de l’aéroport de Genève ne permettrait pas d’atteindre le niveau d’émission de CO2 exigé par l’urgence climatique, et ce malgré la crise du Covid-19 qui a provoqué une diminution de 70% du nombre de passagers par rapport à 2019 ! D’après cette étude, seul le scénario « essentiel » – qui consiste à maintenir le niveau de trafic à ce qu’il fut en mars 2020 et à opérer en sus un transfert modal contraint vers le train sur les trajets de courte distance – permettrait d’atteindre l’objectif fixé pour 2030 à Genève.

Cette perspective peu réjouissante, sur laquelle se basent les Verts pour tenter de restreindre autant que possible l’activité aéronautique à Genève, mérite toutefois d’être nuancée en prenant en considération les options alternatives qui permettront une décarbonisation progressive de ce secteur. En préambule, il faut rappeler qu’une étude telle que celle proposée par Noé21 souffre de l’incapacité propre à tout modèle prédictif, à savoir de l’impossibilité de prendre en compte l’innovation. Dans le cas précis, les mécanismes de compensation, le passage à des flottes aériennes plus respectueuses et le développement de carburants alternatifs sont également écartés de l’équation. Ces derniers suscitent l’espoir des enthousiastes et la suspicion des pessimistes, mais quels sont ces carburants et quelle place pourraient-ils occuper dans l’aviation de demain ? 

Le « sustainable aviation fuel »

Il s’agit du terme principal utilisé par l’industrie aéronautique pour désigner les carburants non conventionnels (non issus du pétrole brut) qui répondent à un certain nombre de critères de durabilité. Il englobe d’autres termes apparentés, tels qu’alternative fuel, sustainable alternative jet fuel, renewable jet fuel ou bio jet fuel. Les sustainable aviation fuels (SAF) regroupent des carburants produits à partir de matières organiques diverses : huiles de cuisson, huiles végétales, déchets divers, résidus agricoles et autres matières végétales.

Leur caractéristique commune et leur grand intérêt sont de pouvoir être mélangés à des degrés variables avec du kérosène conventionnel : ils sont ainsi parfaitement compatibles avec les infrastructures existantes et les appareils actuellement en service. Afin d’être considérés comme durables, les SAF doivent permettre une réduction des émissions de CO2 en prenant en compte leur cycle de vie complet, limiter la consommation d’eau nécessaire à leur production, ne pas représenter une concurrence vis-à-vis de la production alimentaire et ne pas provoquer de déforestation. En prenant en compte leur cycle de vie complet, les SAF pourraient permettre une diminution de 80 % des émissions de CO2 par rapport au kérosène conventionnel. En effet, la production de SAF utilise principalement de la biomasse (par exemple des algues) qui absorbe du CO2 pendant son cycle de vie, ce qui compense dans le même ordre de grandeur les émissions de CO2 émises lors de la combustion du carburant.

En 2020, les SAF représentent moins de 0,1% de la production mondiale de carburant destinée à l’aviation. La technologie semble toutefois mûre mais nécessite des investissements considérables afin d’accroître l’échelle de production et de faire un bond quantitatif. Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a émis, dans le cadre de son plan de transition écologique, des objectifs ambitieux concernant le taux de mélange de SAF à atteindre pour les carburants aéronautiques : 2 % d’ici 2025, 5 % en 2030, 32 % en 2040 et 63 % en 2050[1]. Il s’agit donc d’une source d’énergie en plein développement, qui pourrait permettre de diminuer rapidement les émissions de CO2 et de produire du carburant indépendamment des gisements de pétrole concentrés dans certaines régions du globe.

L’électricité et l’hydrogène

Les deux autres sources d’énergie prometteuses dans cette course vers une aviation plus propre sont l’électricité et l’hydrogène. L’électricité souffre toutefois des inconvénients liés à son stockage (batteries) et à sa méthode de production qui conditionne son caractère durable. Des prototypes d’appareils entièrement électriques sont toutefois en cours de conception, notamment par le constructeur Wright qui aspire à une mise en service en 2030/2032.

L’hydrogène constitue quant à lui l’une des solutions les plus prometteuses pour « décarboner » l’aviation. Airbus a notamment dévoilé trois prototypes en 2019 et ambitionne d’être en mesure de mettre en service des avions à hydrogène en 2035. Des difficultés techniques doivent toutefois encore être surmontées, notamment en raison du volume de stockage important de l’hydrogène et du fait qu’il nécessite d’être maintenu à l’état liquide à une température de -270 degrés. Les constructeurs semblent toutefois confiants quant à leur capacité à innover afin de pouvoir utiliser cette énergie qui ne produit que de l’eau lors de sa combustion. Energie abondante (l’hydrogène est l’élément le plus répandu dans l’univers), l’hydrogène n’est toutefois pas accessible facilement et nécessite actuellement une quantité d’énergie considérable pour être extrait. La durabilité de l’hydrogène dépend donc largement de sa méthode de production, qui n’est pas forcément « verte ».

Les mécanismes de compensation

Enfin, le dernier outil à disposition afin de diminuer l’impact climatique du trafic aérien repose sur les mécanismes de compensation. Le système CORSIA (carbon offsetting and reduction scheme for international aviation) adopté par les membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), dont fait partie la Suisse, contribue à une uniformisation de ces efforts de compensation des émissions de CO2 et permet provisoirement de contrebalancer partiellement le bilan écologique de l’aviation en attendant la relève d’autres énergies plus durables.

Si la complexité du sujet rend l’analyse globale ardue, il apparaît clairement que plusieurs alternatives potentiellement complémentaires sont sérieuses et permettent d’espérer un avenir plus durable pour l’aviation. Finalement, l’innovation étant, dans une large mesure, impossible à prévoir, cela laisse espérer que des transports aériens performants et accessibles – indispensables au bon fonctionnement notre économie – seront entièrement compatibles avec les objectifs climatiques.

 

[1]European Commission, regulation of the European parliament and of the council, on ensuring a level playing field for sustainable air transport, 14.07.2021 https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/refueleu_aviation_-_sustainable_aviation_fuels.pdf

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