Genève doit-elle réinventer son tourisme ?
Pour l’instant, le secteur touristique genevois est loin d’être sinistré. Cependant, s’il ne veut pas décliner face à la concurrence internationale, il doit trouver de nouvelles pistes d’action : création d’un portail d’entrée unique, promotion de la destination sur tout le bassin lémanique, expériences locales et diversifiées sont autant de projets en cours. Sous l’impulsion de la fondation Genève Tourisme & Congrès, les choses bougent.
Ces derniers mois, le bout du lac Léman a traversé une zone de turbulences, secoué par le débat sur l’avenir des Fêtes de Genève. Allié aux Etats généraux du tourisme genevois organisés le 15 mai dernier (voir 1er encadré ci-dessous), cela a eu le mérite de faire faire une introspection à la Cité de Calvin sur un domaine qui lui est vital, celui du tourisme. Un domaine trop longtemps négligé alors qu’il s’agit bel et bien d’un secteur économique à part entière.
Un projet modifiant la loi cantonale sur le tourisme (LTour I 1 60) est d’ailleurs en cours de traitement (voir 2e encadré ci-dessous). Il prévoit de remplacer l’actuelle Fondation Genève Tourisme & Congrès par une fondation de droit public. Il envisage en particulier d’ajuster sa gouvernance et d’amincir son Conseil.
Pour les acteurs les plus critiques, on vendrait mal la destination Genève. Une impression qui ne doit toutefois pas cacher une réalité impressionnante : les retombées économiques avoisineraient le milliard de francs de valeur ajoutée par an et les nuitées en 2018 ont crû de 5%, à 3 millions d’unités. Le tourisme fournit plus ou moins directement 15 300 postes de travail (4,9% d’emplois équivalent plein temps), répartis dans 2200 établissements. En tant que ville internationale, Genève accueille un tourisme professionnel (congrès et finance notamment) à hauteur de 80% et une clientèle avant tout étrangère (à 80% aussi). L’atout majeur de la cité, c’est son image de marque planétaire, grâce à ses organisations onusiennes et à ses marques horlogères légendaires. Rares sont les villes de taille moyenne à posséder comme elle la renommée d’une capitale.
Un nouveau dynamisme
Depuis ce début d’année, Genève Tourisme a retrouvé un second souffle avec un nouveau duo à sa tête : Adrien Genier à la direction générale (il était à la tête d’offices du tourisme dans la Broye) et Sophie Dubuis à la présidence (elle dirige la bijouterie Bucherer à Genève). Selon cette dernière, « on doit penser en tant que destination et région. Le Grand Genève est une réalité sur laquelle nous devons absolument travailler ; il faut donc trouver des solutions pour dépasser les difficultés administratives de nos systèmes respectifs et fédérer les acteurs. »
les expériences locales pour la clientèle de proximité. C’est le cas des Geneva greeters, ces habitants qui proposent des visites personnalisées à des hôtes de passage. Pour se mettre à la page digitale, le site internet de la fondation est déjà proposé en huit langues et ses réseaux sociaux sont très actifs. Le Bureau des Congrès, mis en place il y a quelques années, enregistre également des résultats satisfaisants : il attire des réunions internationales grâce à son réseau d’ambassadeurs et de porteurs de projets.
Les priorités de Sophie Dubuis ? « Aller de l’avant sur la réforme de la loi sur le tourisme. Mais, avant cela, j’aspire à ce que l’institution retrouve la sérénité afin de pouvoir se concentrer sur le travail de fond, dit-elle. Et toute idée séduisante est à développer, à l’instar des tourist angels qui guident les visiteurs estivaux sur les quais ». A terme, le défi serait aussi d’obtenir davantage de fonds publics pour pouvoir régater à armes égales avec d’autres villes concurrentes. Il existe actuellement de nombreuses destinations qui sont prêtes à débourser beaucoup d’argent pour s’assurer la venue de conférences internationales.
Fédérer les forces
« L'objectif est de déployer une stratégie de positionnement de la destination Genève qui requiert un apport de l'ensemble des parties prenantes », souligne Daniel Loeffler, secrétaire général adjoint au Département du développement économique. Par ailleurs, il est important de considérer notamment la dimension régionale, tant sur l’offre que sur la promotion. A ce titre, le Léman Express est attendu avec impatience pour accélérer les liens transfrontaliers. Si les partenaires doivent coopérer, ils ont également à partager les ressources : « Il faudrait un fond qui finance à parts égales des projets pour enrichir les atouts de la destination. Genève devrait avoir une image forte et rassembleuse, à l’instar du concept Only Lyon ». L’un des enjeux pour l’Etat sera de coordonner ces forces sans toutefois créer une structure trop lourde. S’agissant de l’hôtellerie, il faudra aussi trouver un système de taxe de séjour unifié entre les territoires et les établissements afin d’en réaffecter au mieux les produits, ce que s'attachent à accomplir en ce moment les services de Pierre Maudet, conseiller d'Etat responsable de l'économie et ministre de tutelle de la fondation Genève Tourisme & Congrès.
Avec l’évolution numérique, il y a des points délicats à gérer, à commencer par les plateformes d’hébergement de type Airbnb. Ces services de location de chambres chez les particuliers doivent répondre aux mêmes dispositions légales que les acteurs traditionnels pour ne pas leur faire une concurrence déloyale. Mais c’est aussi un levier important pour le tourisme de loisirs et une solution à une pénurie occasionnelle de lits. La cherté de Genève ? « Elle est réelle. Ceci étant l'hôtellerie genevoise est considérée comme l’une des plus performantes de Suisse eu égard au prix facturé et au taux d'occupation. La clientèle est plutôt aisée », constate Daniel Loeffler. « Le succès des Caves Ouvertes auprès des expatriés doit nous pousser à faire connaître de nouveaux types d’expérience aux hôtes internationaux », remarque pour sa part Alexandre Epalle, directeur de la Direction générale du Développement économique, de la recherche de de l’innovation (DG DERI).
Un espace indispensable à Genève
L’un des principaux atouts pour Genève est sans conteste Palexpo, inauguré en 1981 et agrandi à quatre reprises. Son directeur général Claude Membrez est persuadé « qu’on ne va pas révolutionner à court terme le tourisme régional, car chaque territoire, à savoir les cantons de Genève et Vaud et les départements français voisins, utilisent leurs propres règles, à commencer par les taxes de séjour ». Mais il y a plein de raisons de se réjouir : « Genève dispose de conditions cadre de qualité, telles qu’un accès facile et la sécurité notamment », poursuit-il. Et même si on ne peut pas miser sur des prix attractifs pour chaque prestation, le tarif d’une opération peut se révéler concurrentiel si l’on tient compte de tous les critères dont la proximité, la fiscalité ou les transports ».
Palexpo se positionne sur des accueils d’au moins 1000 personnes. Il dispose pour cela de trois vecteurs : les grandes expositions, les congrès business et l’événementiel de loisirs. Dans le premier cas, c’est logiquement la plus grande exposition qui détermine la taille des infrastructures, en l’occurrence le Salon International de l’Auto (GIMS). A ce propos, plusieurs constructeurs font défection cette année. Auparavant, ils misaient tout sur la couverture de presse pendant les salons, désormais ils se diversifient et changent de stratégie. « En attendant, on s’adapte, relève Claude Membrez. Les salons industriels innovants séduisent encore, alors que ceux présentant des produits finis vivent quelques difficultés. Aux Automnales par exemple, le fait d’avoir misé sur des salons parallèles diversifiés nous a permis de garder le cap ». Au plan des congrès, l’expérience internationale de Genève reste un atout capital. Mais comme rien n’est acquis, il faut à chaque fois déposer des candidatures et faire face à la concurrence. Reste le volet événementiel, où il s’agit de satisfaire la demande aux dates voulues, tout en évitant une sous-utilisation des surfaces aux dates creuses. « Pour septembre, mois traditionnellement calme, nous avons décroché la tenue de la LaverCup de tennis, grâce à notre accueil apprécié de la Coupe Davis ».
« Les différents acteurs du tourisme ne peuvent pas raisonner à court terme : si un hôtelier gonfle provisoirement ses prix lors d’un salon, son attitude risque de le desservir par la suite. Il faut aussi tenir compte de l’image de marque : accueillir un congrès sur le nucléaire passerait mal dans un canton qui a exclu cette énergie ! Le Conseil d’administration de Palexpo a défini une stratégie très claire : pour consolider sa position, Genève doit être présente sur la scène internationale et afficher des représentants locaux un peu partout. C’est justement l’un des enjeux auxquels Palexpo fera face ces prochaines années. S’y ajoute la digitalisation de l’économie, qui modifie la façon de se vendre, de communiquer et de recevoir les commandes.
Une réponse nuancée de la CCIG
La CCIG a récemment rendu sa réponse à la consultation publique relative au projet de loi sur le tourisme, qui suivra le processus parlementaire ces prochains mois. En résumé, si l’Etat a vocation à être le garant d’une politique de développement touristique cohérente et convergente, le rôle des acteurs privés doit être valorisé, et il importe que la gouvernance de la fondation incarne cet équilibre. Dans le détail, la CCIG souscrit à une stratégie du tourisme qui se fonde sur des objectifs cohérents. Elle soutient aussi tout changement qui viserait à simplifier les procédures et à valoriser l’entrepreneuriat. Elle a toutefois émis quelques réserves : elle s’interroge sur la politisation qu’induit la création d’une fondation de droit public. Et elle craint que cela ne se traduise par une perte d’autonomie de gestion. Elle se dit favorable à prélever la taxe de séjour en définissant un tarif unique, tout en relevant que la marge entre 3,50 et 4,50 francs paraît relativement étroite. Elle appuie le principe d’un contrat de prestations entre l’exploitant de plateforme d’hébergement et l’autorité de perception. Mais elle s’interroge sur le cas de figure d’une absence d’un tel contrat et les cas d’abus. Enfin, si la CCIG est favorable à une collaboration régionale renforcée en matière de tourisme, elle se demande si une répartition équitable des coûts entre partenaires paraît réaliste.
La prise de position détaillée de la CCIG peut être consultée ici.
Les dix commandements du tourisme ?
Lors des Etats généraux du tourisme genevois organisés le 15 mai 2018 et après de nombreux échanges avec les milieux intéressés, le canton a élaboré dix thèses, destinées à donner d’ici à 2022 une identité conquérante à la Cité :
1) Redéfinir la clientèle-cible à viser. Le type de touristes souhaité doit être mieux précisé. L'activité congrès et salons est plus dynamique que celle du segment récréatif.
2) Etendre la collaboration transfrontalière dans tout le bassin franco-valdo-genevois, qui vit une même réalité.
3) Investir dans la formation de haut niveau. Genève doit accroître son niveau de compétences en matière d'accueil et de prestations.
4) Déployer une stratégie de marketing territorial. La destination Genève n’intègre encore pas assez l’ensemble des acteurs qui peuvent stimuler son attractivité.
5) Construire une plateforme touristique augmentée. Il faut diriger les touristes vers un guichet unique qui capitalise sur les projets de smart canton, doté d’une technologie de pointe.
6) Identifier un nouvel emblème. Genève ne doit plus compter que sur le Jet d'eau comme attraction phare. On peut penser à l’ONU ou à une Cité des droits humains.
7) Enrichir le catalogue touristique. Il faut étoffer l’offre d'événements réguliers, en particulier dans l’agrotourisme et le bien-être.
8) Repenser les infrastructures d'accueil. Il s’agit d’étoffer le nombre de chambres et de mieux répartir les hôtels dans chaque catégorie.
9) Mieux séquencer l'ADN de Genève, et en faire un pôle unique d’échanges d'idées.
10) Travailler sur les prix. Il existe à Genève un différentiel non justifié d’un point de vue des charges entre les tarifs touristiques pratiqués et ceux du marché.
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